VUES IMPRENABLES

par Tiphaine Guyon, 2007

Entre est un rendez-vous proposé par Bernard Martin, dans son appartement situé au coin de la rue des Croisiers auquel s’associe Transat Vidéo. Ce rendez-vous, le mardi en début de soirée, donne à voir et à entendre des univers artistiques pluriels. Un lieu privé ouvert au public pour engager une action, une réalisation qui prend son sens et s’inscrit dans un temps donné et dans cet endroit « particulier ». Une présence, un temps, un lieu entre l’intimité et l’extériorité, à la recherche du milieu juste, des suspens : l’entre deux.
Une image, des images qui présentent une rigueur de forme et imposent une ligne. Cette ligne dessine les contours, structure la composition interne au plan. Apparente fixité qui contient pourtant un monde en mouvement : une suite d’apparitions et de disparitions s’agite en douceur. Ainsi un jeu de cache-cache, de projections et de visions intimes s’élabore ; l’œil pris par l’ossature du cadre est embarqué dans la danse aérienne, quasi invisible, à l’œuvre.
Les images de Doriss Ung laissent affleurer cette impression sensible, sensorielle qui vient du fond de la mémoire. Une expérience dilatée du temps – qui se meut, coule, file, se déplace – nous laisse en proie à la sensation impalpable et diffuse de « déjà vu ». Un appel au souffle, à la légèreté retrouvés qui éveille au souvenir d’une ambiance faite de lumière et de couleur.
Cette expérience des sens, l’engagement du corps attentif, est en but à la délimitation linéaire autant qu’à la fluidité sensuelle perceptible à travers les voiles de transparence. Une expérience du retour, du saisissement subtil de l’infime et du fugace, du volatile et de l’éphémère à travers la constance, l’immuable délimité. Entre glissements immobiles et présences invisibles, l’évanescence poussée jusqu’à la disparition révèle avec finesse le flux immobile d’une pensée en partance.
« Un espace mais pas n’importe lequel. Un espace habité, personnel, celui de Bernard. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une galerie, il fait de son intérieur un lieu dépouillé du quotidien pour ne garder que l’immobile ou presque. Ce lieu a déjà une existence propre, architecturale et sensible. Or c’est à travers la transformation de cet espace que je souhaite proposer une expérience sensorielle par laquelle nous pourrions expérimenter notre perception du temps et de la durée mais aussi du souvenir et de la mémoire. » Doriss Ung.
Doriss Ung propose d’installer chez Bernard Martin l’une de ces Vues imprenables : un détournement malicieux d’images de publicités immobilières vantant vue sur mer. Une réflexion sur les frontières entre le dedans et le dehors s’élabore, se met en place, la vue sur l’extérieur perceptible depuis l’intérieur se trouvant accrochée dans le cadre de l’appartement. Un défilement, lentement perceptible, dévoile le processus du changement pourtant fixé au mur, tel un paysage-tableau inaccessible, appartenant à tous et au particulier. Une nouvelle appréhension d’un espace à la fois privé et ouvert, une exploration de l’idée d’Entre.